Saoussen Mahfoudh, designer humaniste, cartonniste et créatrice de meubles en carton, présente sa marque The LiMS, une marque d’objet design et écologique fait à partir des matériaux recyclés dont le carton. Pour Hello Design Mag, la jeune designer s’est livrée au jeu de l’interview, partageant sa vision du design aujourd’hui!
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Saoussen Mahfoudh, créatrice de meubles en carton, je suis donc designer cartonniste.
Designer humaniste pour les uns, designer urgentiste pour les autres… ces appellations nouvelles nous viennent de nos prédécesseurs, les architectes ayant travaillé avec le carton. On les appelait « architectes de l’urgence ». Depuis le séisme de 2011 en Nouvelle Zélande, et dans l’urgence de la catastrophe, c’est à l’architecte japonais Shigeru Ban (prix Pritzker) qu’il fut demandé de redonner à la ville son lieu de prière. Il fallait réagir rapidement, efficacement. Nous sommes au cœur de l’immédiateté, du temporaire, de la réactivité, au service de l’humain. Une église en carton fut bâtie. Ainsi , et outre son aspect inévitablement écologique, Le carton fait de nous des humanistes. Il faut avouer que se présenter en tant que designer urgentiste, c’est quelque chose !
– Y a-t-il un ou plusieurs designers, ou créateurs qui vous inspirent ?
Je vais vous étonner, mais ceux qui m’inspirent en premier ne sont pas designers. Mon inspiration je la tire de ce que j’écoute comme musique, et de ce que je lis comme livres d’essayistes. Je dois avouer que je suis habitée par des fantômes de talent, tous des compositeurs de génie, qui donnent du sens à ma vie. Certains composent avec des notes de musique, d’autres avec des lettres. C’est de la poésie architecturale. C’est du design romantique. La plume du sempiternel questionnement a eu raison de ma façon de voir les choses. Ma vie sans questions n’a pas de sens. Questionner les objets qui m’entourent est devenu un rituel quotidien. Elle est toute simple ma vie: du Muray caustique pour bien démarrer la journée, quelques heures de Paganini ou de Bach pour bien faire infuser les interrogations sur la société de consommation, puis direction l’atelier… pour tenter d’y répondre. Pour résumer tout ce beau bazar, je dirai que je tire mon inspiration de ma capacité d’émerveillement. Etre en éblouissement excessif de certains instants m’aide à bien travailler, à mieux travailler.
– Comment définiriez-vous votre « style » ?
Grande question, grand débat. Je vais essayer de faire court. Dans La Naissance de la Tragédie, Nietzche confronte les deux protecteurs de l’art, Apollon d’un côté, Dionysos de l’autre. L’un est Raison, l’autre est Ivresse. L’un est « Less », l’autre est « More ». Il dit que de leur conflit, naît l’œuvre d’art. Mon style se voulait minimaliste avant tout, je voulais faire simple, épuré, dépouillé de toute fioriture. Vous savez ce qu’on dit du carton ? on dit que c’est un matériau pauvre et capricieux. Ce n’est pas faux. Car en voulait faire certains meubles à l’esthétique réellement minimaliste, le carton a montré ses faiblesses et ses limites. Pour remédier à cela, il fallait que je balance entre ce dépouillement pas possible, et cette abondance non désirée. Là je me situe au beau milieu de deux grands concepts : l’apollinien (le Less), et le dionysiaque (le more). On peut faire pire dans la vie !
– Quelle est la commande que vous aimeriez vous voir confier ?
Une librairie ou une bibliothèque… ou les deux tiens! Vous imaginez Nietzsche, Proust, Guitry, Céline, Cioran, Flaubert, Bukowzki… et tous les autres stylistes d’une littérature géniale posés sur le mobilier du futur : de simples éléments en carton ? des étagères, des présentoirs, et des rangements que j’aurai moi-même imaginé, conçu, dessiné et réalisé ? ça sera ma façon de prendre soin du Prodigieux, de le présenter au monde, de le transmettre.
Leurs œuvres deviennent Contenu, mon carton devient Contenant, l’idée est jubilatoire.
Le papier du passé allant à la rencontre du papier du futur, la vision est jouissive.
– Que pensez-vous de la grande tendance écoconstruction ?
Jean Cocteau dit que le drame de notre époque c’est que la bêtise pense. Nous vivons dans un siècle d’horreurs, de pollution, de haine et de barbarie. L’humain a montré tout ce qu’il y avait de médiocre en lui. On est dans l’abrutissement de tout, dans le non-respect, dans le nivellement miséreux. La terre va réellement mal ! Cioran dit « Ma vision de l’avenir est si précise que, si j’avais des enfants, je les étranglerais sur l’heure. », citation fascinante et horrible. Je pense que cette idée d’écoconstruction pourrait être la lumière au bout du tunnel. Une idée qu’on devra convertir en « culture », puis en « hygiène de vie ». Il suffirait de la démocratiser un peu plus, la rendre plus accessible, car elle reste malheureusement de l’ordre de l’inatteignable, du trop cher ou du pas assez répandu… c’est dommage. Les gens doivent avoir connaissance de cette philosophie de vie. C’est une tendance qui aurait pu faire changer d’avis un Cioran misanthrope !
– Etes-vous une écolo-addict ?
J’aurai aimé en être une ! j’aurai aimé me déplacer uniquement en vélo par exemple. Mais le cycliste tunisien n’a pas du tout sa place dans ce mythique trafic tunisien. Je n’aime pas trop rejeter la faute sur les autres et accuser le gouvernement de tous les maux, mais il est clair que prendre plus au sérieux la question des transports en commun est une urgence. Instaurer la culture du vélo, donner de l’importance aux piste cyclables en Tunisie… ça pourrait être le début d’une nouvelle ère.
– Votre résolution verte à venir ?
Vous savez j’ai un grand post-it accroché à mon frigo, les consignes y sont claires, vous pouvez lire ceci : « Saoussen ! Toi, que la société a placé sur une pyramide de consommation, avant de faire n’importe quel achat, vérifie s’il est vraiment nécessaire. N’oublie pas ces 6 commandements :
- Utilise ce que tu possèdes déjà, car tu n’as pas besoin de plus.
- Fabrique ! t’as deux mains et un cerveau, ça peut te servir. Utilise-les !
- N’aie pas honte d’emprunter, on est des rebelles on s’en fout du qu’en dira-t-on !
- Pense à échanger ( ça peut également nourrir ton capital sympathie ! pas con…)
- Achète d’occasion, tu feras de belles affaires, crois-moi !
- Achète durable, bio et équitable… le dinar va mal ma chérie !